4.1. ÂGISME ET JEUNISME
ZOOM SUR L'ÂGISME
#JeSuislAînéDeDemain Militant pour la cause des aînés depuis ses tout débuts, Le Groupe Maurice (résidences pour retraités au Québec qui favorisent l’art de vivre, la liberté et l’épanouissement) a profité de la sensibilisation sociale actuelle face aux manques entourant la réalité des personnes âgées, pour lancer sa nouvelle campagne publicitaire. Le mieux-vieillir et la dénonciation de l’âgisme sont devenus ses principaux chevaux de bataille avec le temps. Pourtant, bien que les dernières campagnes publicitaires du Groupe Maurice visaient toutes à combattre les préjugés face aux aînés, il aura malheureusement fallu une pandémie pour que les consciences s’éveillent davantage. |
ACTIVITÉ DE COMPRÉHENSION ÉCRITE
COMMENT LA JEUNESSE EST DEVENUE LA VALEUR CULTE Cinq contre un. À la veille du festival de Woodstock, le morceau Five to One des Doors témoigne de l’explosion démographique de la jeunesse. Le titre de cette chanson fait référence à la proportion, cinq pour un, des baby-boomers dans la population adulte américaine à la fin des années 1960. Cette poussée démographique produit une génération qui s’autonomise avec des aspirations et des pratiques propres. Soudée autour du rejet d’une société jugée réactionnaire avec ses «vieux» en guerre au Vietnam, la jeunesse constitue pour la première fois une véritable culture. Musique, mode de vie, vêtements… Les jeunes, qui s’emparent du pouvoir car ils sont désormais les plus nombreux, vont imposer progressivement leurs codes à toute la société occidentale.
Par peur d’être mis sur la touche, les salariés âgés sont prêts à tout Cinquante ans plus tard, ces codes restent inchangés. Avoir l’air jeune et dynamique est un impératif quels que soient l’âge et la classe sociale. Se (re)mettre au sport et surveiller son assiette font aussi partie des injonctions. Si tout cela ne suffit pas, reste l’option de la chirurgie esthétique. Les injections de Botox et d’acide hyaluronique ont le vent en poupe. Dans certaines entreprises, la pression vient ouvertement de la hiérarchie. «On sait que les acteurs et les actrices sont nombreux à y avoir recours. Mais c’est le cas aussi chez les visiteurs médicaux, les stewards, les hôtesses de l’air, les vendeurs de cosmétiques…» souligne Élisabeth Azoulay, anthropologue. Par peur d’être mis sur la touche au profit d’un plus jeune, les salariés âgés sont prêts à tout. Cette crainte n’est pas infondée : en France, seuls 52 % des 55-64 ans sont actifs. «Les discriminations liées à l’âge des candidats sont parfaitement assumées», constate Sébastien Bompard, président de l’association À compétence égale. «Les recruteurs ne se gênent pas pour dire : “Je cherche un candidat de 30-40 ans pour ce poste” ; alors que “Je veux quelqu’un qui ne s’appelle pas Ousmane”, plus personne n’ose le dire !» L’irruption des nouvelles technologies dans le monde du travail a accentué l’idée que les seniors sont dépassés. «La notion d’expérience en a pris un sacré coup, précise Élisabeth Azoulay. En grande partie parce que la mémoire est confiée au numérique plutôt qu’à des personnes capables de raconter.» Ce passage d’une société de transmission à une société de communication immédiate est, selon le philosophe Régis Debray, l’un des principaux facteurs expliquant le jeunisme ambiant. Il s’enracine toutefois dans une dépréciation de la vieillesse bien plus ancienne que les nouvelles technologies. Elle émerge au XIXe siècle, quand «la cohorte des “vieux” croît vite». À cette époque déjà, les «vieux» sont considérés comme une charge en France et en Europe. […]
Le jeunisme est une culture inséparable de la société marchande Plus la vie s’est allongée et plus les signes du vieillissement sont devenus insupportables. Le vocabulaire s’adapte à cette nouvelle donne. Finis, les «vieux» ou les «vieillards» ! Dès 1971, on utilise l’expression «la catégorie des 60‑ans et plus». En 1985, une circulaire recommande l’expression «personnes âgées». Le terme «senior» apparaît lors de la crise des années 1980 : il désigne les plus de 50 ans poussés vers la préretraite. La connotation jeuniste est évidente puisqu’on utilise le vocabulaire sportif. En effet, le terme fait référence aux sportifs âgés de 19 à 34 ans, autrement dit à des compétiteurs assez jeunes. Le jeunisme est une culture inséparable de la société marchande. Faire jeune devient un puissant levier de la consommation. En outre, les seniors constituent un marché prisé que les professionnels du marketing qualifient de «nouvel or gris». Et pour cause, en France, les plus de 60 ans seront 22 millions en 2050, soit près du tiers de la population. «L’âge a rajeuni, affirme Serge Guérin. Avoir 65 ans en 1950 signifiait être presque arrivé à la fin de sa vie. En 2017, c’est le début d’une nouvelle existence : on peut refaire sa vie amoureuse, démarrer une nouvelle activité, voyager.» Il faut donc «vieillir jeune». Pour soi et pour les autres. Si tout le monde s’efforce d’avoir l’air jeune, à quel âge est-on vraiment «vieux» ? «L’âge de la vieillesse s’est décalé. Le critère principal est l’autonomie», répond Patrice Bourdelais. Le quatrième âge a récupéré les attributs traditionnels de la vieillesse : c’est «le vieux grabataire, qui a eu un AVC, toussote, et n’est plus capable de dire quelques mots», assène l’historien. Ces personnes âgées très dépendantes sont près de 1 million en France, mais elles sont devenues invisibles : elles sont cachées dans les Ehpad, ou bien maintenues à domicile grâce à plusieurs dispositifs (prestation spécifique dépendance, puis l’allocation personnalisée d’autonomie).
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Même Hollywood est concerné par la rébellion contre le jeunisme Nos sociétés occidentales sont-elles gérontophobes ? «La prise de conscience du jeunisme et du fait que nous sommes allés trop loin dans la survalorisation des jeunes et la dévalorisation des anciens est récente. Elle s’inscrit dans un moment de l’Histoire où la lutte contre les discriminations est forte», établit Serge Guérin. Depuis quelques années, la rébellion frémit jusque dans le milieu à l’esthétique retouchée d’Hollywood. Certaines actrices commencent à se montrer sans maquillage et avec des cheveux blancs. Un pas en avant vers l’acceptation de la vieillesse ? Sans doute. «Les sociétés primitives deviennent une source d’inspiration pour les sociétés occidentales», explique Frederika Van Ingen, journaliste et auteure de Sagesse d’ailleurs pour vivre aujourd’hui. Le point commun à tous ces peuples est l’acceptation que vivre c’est traverser les étapes de la vie. Chez nous, ceux-là même qui ont inventé la culture jeune sont devenus les nouveaux vieux. C’est peut-être ce qui explique une vision plus positive du poids des ans.
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